Death of a Salesman

Publié le par Super meuh

Tout commence par une plage bondée, normal, week-end du 15 août oblige, on arrive à 19h et la plage est encore surpeuplée comme en plein après-midi!
On trouve un coin pour poser nos serviettes de grands, tout près du bord pour ne pas lâcher des yeux les quat'zenfants qui évidemment décident de faire leur activités d'enfants chacun de son côté, et de préférence loin dans l'eau...;-)
Ambiance.
Festive, c'est le soir du 15 août, chacun parle du feu d'artifices de tout à l'heure, à Carry le Rouet, LE rendez-vous feu d'artifices de la région, du bal peut-être...
Apéritive aussi, il a fait très chaud aujourd'hui, la mer est calme et chaude, on sort les chips et les boissons, certains fument carrément des narguilés parfumés aux herbes, on joue au ballon, on parle fort, on profite tous de cette belle soirée de samedi à la Couronne. Des gens sont attablés aux terrasses, la musique du bar s'entend jusque là, le restaurant qui surplombe l'anse commence à faire le plein pour une de ses meilleures soirées de l'année.

Un jeune mec passe devant moi en courant et crache sur le sable mouillé, le gros dégueu, limite sur les pieds des enfants, du coup je me tourne vers Fab pour lui faire remarquer qu'il y a vraiment des gens beurk, puis je cherche des yeux le gars en question parce que quand même...
En fait, il est au poste de secours, en train d'indiquer un endroit dans l'eau... je suis la direction du doigt, et je vois des jeunes en train de sortir quelqu'un de l'eau, un monsieur, il est sans connaissance, ils sont 3 pour tirer son corps immobile et pesant hors de l'eau... la petite secouriste part au galop, et d'un coup tout s'enchaîne, les autres MNS la rejoignent petit à petit, quand ils prennent la mesure de la situation (du coup la plage toujours bondée est sans surveillance, génial!), et bien d'autres gens aussi s'attroupent, qui n'ont rien à faire pour aider, mais qui sont attirés comme des insectes de nuit autour d'une ampoule  nue.

Nous sommes là,  au milieu de ces centaines de personnes, presqu'un millier sans doute sur cette plage, nous sommes là sur nos serviettes pleines de sable, un oeil sur nos enfants chéris qui n'ont pris conscience de rien pour le moment encore, pendant qu'à 25 mètres de là, l'attroupement grossit et qu'on aperçoit entre deux les efforts un peu hésitants et très fébriles des MNS qui ont commencé le massage cardiaque sur le monsieur couché là, dans le sable, en slip de bain, inerte et gris.
2 minutes, 3...5minutes au moins, 10 sans doutes... Ils sont là, ces jeunes gens, qui ont décroché un job en or, MNS sur l'une des plus belles plages de la Côte Bleue, l'une des plus peuplées, mais calme, tranquille, pas dangereuse... Des gamins d'à peine 18 ans qui pour certains font leur première saison, et, s'ils ont bien sûr appris les gestes de secours, jamais ils n'ont mis en oeuvre, et là, ils sont là à se relayer pour appuyer sur la poitrine de ce noyé, lui insuffler leur air dans ses poumons en posant leur bouche sur ses lèvres sans réaction.

 Au bout d'un temps, les professionnels arrivent, les pompiers en tenue et la femme médecin en pyjama bleu, ils arrivent sans bruit ni mouvement de foule, d'un coup ils sont là, d'un coup les badauds reculent de quelques dizaines de centimètres, chassés sans doute par les regards fermes et critiques de ces hommes qui voient ça tous les jours.
Ils prennent le relai du massage cardiaque,  avec le machin pour insuffler de l'air, avec tout l'attirail imaginable pour sauver quelqu'un qui est en train de mourir sur une plage par la plus belle soirée de l'été.

Les enfants maintenant ont compris qu'il se passe "quelque chose", alors on leur dit simplement, parce que quoi, la mort, ça existe, ce n'est pas sale ni secret, et ça leur éviter peut être plus tard cette curiosité sordide qui fait que le troupeau continue de mater et de se repaître, là-bas...
Cela dit, le troupeau a bien fondu, justement.
La femme médecin a posé une perfusion, que chacun des sauveteurs va tenir à bout de bras, pendant encore un temps infini, un temps qui s'étire tout en s'accumulant atrocement vite, le décompte des minutes où ce monsieur n'a pas respiré tout seul, où son coeur n'a pas battu sans aide, le décompte du moment où on va cesser de l'aider à revenir à la vie.

Bien avant que les gestes ne cessent, bien avant que le matériel ne commence à être rangé, bien avant même que l'un des hommes sorte du sac des soins d'urgence une espèce de sac, de tissu blanc un peu plastifié, et qu'il ne l'étende sur le corps de ce monsieur pour qui la vie s'est arrêtée sur cette plage, ce soir du 15 août, alors que le soleil disparaissait derrière la colline, avant même que tout ne soit achevé et prononcé, il n'y avait plus personne, autour d'eux.

Les gens, là-haut, sur la terrasse du restaurant, je suis trop loin pour voir leur tête. Leur dîner a dû avoir un drôle de goût, quand-même, le nez sur les pompiers qui appuyaient rythmiquement et sans désarmer sur la cage thoracique massive du vieux type gisant, là, en bas.

Et ceux-là, ici, sur la plage, comme nous, mais plus près, ceux-là qui étaient si curieux, ils sont maintenant assis sur leur serviette, et chacun tourne le dos ostensiblement au spectacle affligeant qui continue de s'éterniser au bord de l'eau.

Le monsieur, lui, ne reste pas longtemps seul sous son sac où il n'a plus besoin de respirer. Très vite, deux policiers arrivent, qui amènent une jeune femme et un homme, elle soulève le drap, d'un geste sûr, comme si elle avait fait ça toute sa vie, puis s'accroupit auprès du mort, de celui que nous supposons être son père... elle s'agenouille et elle pleure, quelques dizaines de secondes, accompagnée par les gestes humains de la femme médecin dans son pyjama bleu.
Puis la jeune femme se relève, se détourne regarde longuement la mer... Qu'est-ce qu'elle fait donc? Sans doute elle grave dans son esprit l'image de cette plage tranquille, sans même une vague, de ce ciel rosi, où son père est mort ce soir.
Jusqu'à la levée du corps, qui prendra encore des minutes incomptables, elle ne reviendra pas vers l'homme allongé sur le sable, sous le drap blanc.

Il est là, seul. Les hommes vivants qui se sont occupés de lui sont à côté, pourtant, mais éloignés, à distance, et plus jamais  il ne sera l'un des leurs, l'objet de toute leur attention pour le ramener chez les vivants du monde.
Il est là.
Immobile, encore un peu chaud peut-être, dans son corps corpulent et vieux, dans sa peau grise. Comprend-il ce qui s'est passé? est-il encore présent, ou bien, comme semblent le croire ces gens qui pourtant ont tdéployé tant d'efforts, il y a encore quelques instant à peine, et   pendant de si longues minutes, son existence a t'elle cessé définitivement, son corps mort et pesant restant seul vestige fragile et bientôt disparu de cette vie qui vient de passer?

La nuit est tombée. La civière est arrivée. La fille précède les pompiers pour continuer l'histoire à l'abris des regards, dans le poste de secours.
La nuit sera longue.

C'est un bel endroit, pour mourir.

Publié dans libre pensée

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